En voiture svp !

J’ai mon brevet de secouriste. Si. Depuis quelques années déjà.

Ce qu'il faut en retenir? Face aux malaises, pertes de connaissances, blessures, brulures,  chutes,  noyades,... le rôle du secouriste est de porter assistance (en évitant de se mettre soi-même en danger bien sûr), d’appeler les secours et de, le cas échéant (et si le cas pouvait échéer le moins souvent possible ça m’arrangerait)  de maintenir les fonctions vitales par le massage cardiaque, en attendant les secours. Les vrais. Ceux qui sont médicalisés.

Combien de fois ai-je dû intervenir en tant que secouriste d’entreprise? Pas assez souvent pour me souvenir si c’est ouvrir grand la fenêtre ou faire respirer du CO dans un sachet la meilleure façon d’aider une personne qui fait une crise d’angoisse. Voilà pourquoi un recyclage annuel est prévu. Histoire également de ne pas bander une entorse à l’envers ou de retirer un couteau enfoncé sous peine d’hémorragie. C’est donc sur un quai de gare que je réfléchissais à comment nouer une atèle d’épaule que mon regard s’attarda de l’autre côté de la voie. Un matin d’hiver, n’importe quel inconnu croisé vous rassure sur le fait que malgré le froid il y a de l’activité humaine. Mais cet inconnu-là était plus plaisant qu’une simple promesse de ne pas mourir gelée toute seule en attendant mon train.

Fort plaisant même. Un petit sourire réconfortant, ça ne coûte rien. Mes lèvres craquèrent sous l’effort. Je luttais contre l’envie de passer ma langue mouillée sous peine de rester coller dessus. Brrr il fait particulièrement froid ce matin. Je ne sens déjà plus mes mains. D’ailleurs il serait peut-être judicieux de mettre une paire de gants non? Je partis donc à sa recherche dans le fond de mon sac, en ne quittant pas des yeux mon bel inconnu. Et c’est mon regard toujours rivé au sien que je brandis ma paire de gants sans la regarder et  commençai à les enfiler lentement. Un peu de glamour en plein hiver ça ne fait de mal à personne…

Je me réjouissais d’avoir opté pour de longues mitaines noires qui me réchaufferaient les mains et laisseraient mes doits libres de pianoter sur mon téléphone. Je les déroulai langoureusement le long de mes bras, les yeux  rivés à ceux de mon bel inconnu. C’est au moment où, toujours accrochée à son regard,  je m’interrogeai sur le fait bizarre que mes doigts au lieu de trouver la sortie à l’air libre, particularité qu’offrent en général les mitaines, venaient buter contre un fond de tissu. Persuadée de ne pas avoir de gants aussi longs, j’allais vérifier ce qui clochait quand je vis les yeux  de mon bel inconnu s’arrondir, il observait mes mitaines avec…perplexité. Je suivi son regard jusque sur mes mains et découvris  avec effroi que ce n’étaient pas des mitaines que je venais d’enfiler. Aucun doute là-dessus, le talon gris contrastait et ne laissait pas planer la moindre hésitation sur la nature de l’accessoire : des chaussettes. Noires avec un talon gris donc. Je compris les yeux ronds, la perplexité et sans doute le fourire gêné qui allait suivre.

J’invoquai tous les saints pour que le train, le sien ou le mien peu importe, arrive de suite, me permettant de soustraire à sa vue la honte dans laquelle que je me liquéfiais  instantanément.

L’année d’après, au moment de mon recyclage habituel, je choisis l’option voiture pour m'y rendre. Et pour ceux qui se posent encore la question du début : pour aider une personne qui fait une crise d'angoisse, il est conseillé de la faire respirer normalement son propre CO dans un sachet. Pas plus d'une poignée de minutes.